Les années passent, mais ils ne se ressemblent pas, quoi que…
C’est avec l’UGCB (Union des Grands Crus de Bordeaux*) que je participe aux dégustations primeurs à Bordeaux et ce depuis quelques belles années déjà. C’est toujours le même rituel, l’adrénaline qui monte avant de découvrir ce nouveau né qui est bien évidemment très différent chaque année et disons-le : heureusement ! Sinon ça serait trop banal…
Il y a des années où la nature est généreuse, tout se passe facilement, sans aucun incident (c’est quand même plutôt rare), mais il y a aussi des années comme 2013 où la nature se montrait très capricieuse, où il fallait toujours être là, au bon moment et savoir anticiper pour prendre les décisions, les bonnes, concernant tous les travaux à la vigne et au chai.
La décennie 2000-2010 a vraiment gratifié Bordeaux d’une collection de quelques grands millésimes, tandis que le début de la décennie suivante avec les 2011, 2012 et enfin 2013 laisse beaucoup à désirer…
Comme à l’accoutumée, j’assiste chaque année à la conférence sur le millésime en question en présence du Pr. Denis Dubordieu qui décortique les aléas climatiques avec son humeur bien à lui, sans perdre la notion du réel.
Avant de décortiquer en détails chaque étape du cycle de la vigne, il nous rappelle les 5 conditions nécessaires pour faire un Grand Millésime de vin rouge à Bordeaux, soit :
1) Une floraison précoce et rapide, propice à une bonne fécondation, assurant des rendements satisfaisants et laissant espérer une maturité homogène.
2) Un début de contrainte hydrique à la nouaison limitant le grossissement des jeunes baies et déterminant leur richesse tannique future.
3) L’arrêt franc de la croissance de la vigne avant la véraison, imposé par une forte contrainte hydrique.
4) Une maturation complète des raisins assurée par un fonctionnement optimal du feuillage jusqu’aux vendanges, sans reprise notable de la croissance végétative.
5) Un temps clément pendant les vendanges permettant d’attendre, sans crainte de dilution ou de pourriture, la maturité des parcelles et des cépages tardifs.
Pour le millésime 2013, en ce qui concerne les vins rouges, aucune de ces 5 conditions n’a été pleinement satisfaite!
Avec son printemps humide provoquant une floraison tardive et une coulure généralisée ainsi que le millerandage exceptionnellement important sur les Merlots, il laissait présager des rendements très faibles. Avec les orages violents et parfois destructeurs de fin juillet / début août empêchant l’arrêt de la croissance de la vigne avant la véraison, son climat humide et doux de septembre et octobre éminemment propice à pourriture grise avant et pendant les vendanges, 2013 achoppe au final sur ces cinq facteurs d’un grand millésime de rouge.
Néanmoins, sous un tel climat, on pouvait produire sur certains terroirs des petites quantités (dues au rendement extrêmement faible et un tri draconien) de vins rouges très plaisants, d’une belle et même de très belle qualité dans certains cas. A nouveau, les grands terroirs ont parlé, sans nier le bon sens, l’intelligence et l’expertise de son vinificateur.
Le constat à la dégustation était net avec quelques excellentes surprises…
Comme les exigences climatiques de la vigne blanche pour faire des raisins de qualité diffèrent de celles de la vigne rouge, 2013, avec ses beaux mois de juillet et août, sans sécheresse excessive, remplit les conditions d’un bon, et dans certains cas très bon, millésime de blanc sec.
2013 est aussi un bon, pour ne pas dire très bon, millésime de grands vins de pourriture noble (botrytis cinerea) car son automne doux et humide fut très favorable à un développement précoce et généralisé de botrytis cinerea.
Voici quelques propos des œnologues, consultants, ceux qui sont au cœur des vignes, au cœur des chais, bref de ceux qui font du vin avec la matière que la nature leurs donne…
Michel Rolland, œnologue, consultant de 250 propriétés dans le monde :
« Dans l’esprit des gens : quand on a une mauvaise climatologie, ça fait un mauvais millésime, mais on est en train de faire la preuve que non. C’est un millésime pour lequel la nature ne nous a absolument pas aidé et pour lequel on a trouvé des réponses, des réponses viticoles par des effeuillages, les éclaircissages, par le tri (…) Le piège de cette année, c’était absence de maturité car on était sur un process tardif, (…). Le piège, c’était qu’il ne fallait pas trop extraire, il fallait être assez gentil pour faire des vins de plaisir où l’on trouve des fruits… 2013 c’est un millésime hétérogène, certes, mail il y a des très bonnes choses dans ce millésime »
Millésime 2013 vu par Stéphane Derenoncourt, consultant (Derenoncourt Consultants)
Millésime 2013 vu par Stéphane Toutoundji, œnologue (Laboratoire OenoTeam)
Quelques mots « rationnels » de Dany Rolland (Rolland Collection) sur 2013 un millésime qui ne pas « rationnel » du tout…
« Que dire de rationnel sur ce millésime 2013, si ce n’est parler de la formidable volonté et ténacité des viticulteurs à lutter contre une climatologie hostile et une nature qui peut être parfois, si peu généreuse, rappelant les relations homme/terre comme des « Vieux Amants ».
Les évolutions de la viticulture et de l’oenologie ont permis d’appréhender, d’interpréter, de maîtriser bien des tourments de la climatologie avec une meilleure connaissance des sols, du végétal, avec des méthodes de conduite du vignoble et de contrôle de charge adaptées, une sélection qui peut être draconienne , des vinifications à la parcelle, au pied, à la carte, le jour j…
Il y auras plus que jamais, une hétérogénéité de styles et de résultats entre les régions, les appellations, et même dans chaque cru, conséquences des caprices de la nature en terme de pluie, vent, fragilité des cépages, âge des ceps, nature des sols…
2013 sera à boire jeune, sur le fruit et la fraîcheur, il devrait être un vin de plaisir, sans tanins puissants, juste enveloppés, sans verdeur… »
À-propos :
*Union des Grands Crus de Bordeaux présidé par Olivier Bernard (Domaine de Chevalier)
Association crée en 1973 qui regroupe aujourd’hui 133 Grand Crus provenant des appellations les plus nobles de la Gironde : Médoc, Haut-Médoc, Saint-Estèphe, Pauillac, Saint-Julien, Margaux, Moulis, Listrac, Graves, Pessac-Léognan, Sauternes, Barsac, Saint-Emilion et Pomerol, ayant en commun une même exigence qualitative.