Bordeaux Primeurs 2024, un millésime sous le signe de la fraicheur et des prix en baisse
Chaque année, je me rends à Bordeaux pour les primeurs, un rendez-vous incontournable. En 2024, malgré un contexte économique difficile, ce millésime hétérogène offre un potentiel inattendu. Bordeaux doit aujourd’hui réinventer ses règles face à ces défis, suscitant de nombreux débats.


Chaque année, fidèle à la tradition, je me rends à Bordeaux pour déguster les primeurs, l’événement annuel de dégustations primeurs, toujours tant attendu par la filière, s’est déroulé dans une ambiance conviviale et chaleureuse, mais un peu plus tendue due au contexte économique difficile qui touche de plein fouet tout le secteur viticole sans exception.
Aujourd’hui, la campagne des primeurs 2024 bat son plein à Bordeaux, marqué par un millésime hétérogène, considéré prometteur au potentiel inattendu. Face au contexte économique en pleine mutation, bordeaux doit redessiner les règles du marché, bousculer les codes, se qui suscite d’ores et déjà de nombreux débats.
Voici quelques éléments essentiels à retenir pour comprendre un millésime qui promet de bousculer les codes de la filière viticole bordelaise.
Caractéristiques du millésime 2024

Vins marqués par la fraicheur avec un degré d’alcool modéré
Le millésime 2024 a été forgé dans l’adversité. Dès le printemps, les producteurs ont dû composer avec le mildiou, des pluies abondantes, des gelées tardives et même de la grêle, notamment sur la rive droite. Ces aléas ont limité les rendements, mais ont aussi permis, là où la maturité a été atteinte, de produire des vins dotés d’une belle fraicheur, d’une intensité aromatique marquée et de degrés d’alcool modérés, souvent autour de 13%. Les profils sont variés, mais la tendance générale est à des vins accessibles dans leur jeunesse, avec un potentiel de garde intéressant, notamment pour les liquoreux.
Les blancs secs se distinguent particulièrement cette année, sont expressifs, tendus, avec un excellent soutien acide et une grande pureté aromatique, ils s’annoncent comme l’un des meilleurs millésimes de la décennie pour cette catégorie.
Les liquoreux, notamment à Sauternes, bénéficient d’une belle concentration et d’un équilibre remarquable grâce à un développement précoce et homogène du botrytis.
Qualité des vins
Vins hétérogènes avec de très belles réussites marqués par un rondement plus faible
Le mildiou n'était pas le seul fléau, la coulure sévissait également, ce qui signifie que, tout le monde a perdu beaucoup de rendement, qu'ils soient en bio ou non. Mildiou et coulure combinées ont entraîné les rendements les plus faibles depuis 1991, avec une moyenne de 35 hl/ha, ce qui a été plus tard bénéfique pour la maturation de raisin.

La qualité des vins rouges reste hétérogène, conséquence directe des conditions climatiques difficiles. Cependant, les domaines ayant su attendre la maturité optimale des raisins signent de très belles réussites, avec des vins élégants, frais, fruités et dotés d’une structure tannique souple.
Les merlots, plus précoces, ont particulièrement bien tiré leur épingle du jeu sur la rive droite, offrant des vins équilibrés, accessibles jeunes, mais aussi aptes à vieillir pour certains crus.
Sur la rive gauche, c’est des Cabernets qui ont globalement mieux encaissé les conditions climatiques, vendangés plus tardivement ont pu profiter de belles fenêtres d’ensoleillement, mais le mildiou a obligé à des tris soignés et sans concession sur les deux rives.
À la dégustation, les vins du 2024 sont très aromatiques, plaisants, sans verdeur, avec des structures élancées, beaucoup de charme et de gourmandise, sans oublier la fraicheur. Certes, tous les producteurs n’étaient pas logés à la même enseigne.
Contexte économique tendu
La campagne primeurs 2024 intervient dans un contexte économique tendu et compliqué marqué par une correction sévère du marché des grands crus. Cette situation a poussé les propriétés à revoir leurs tarifs à la baisse, renouant ainsi avec l’esprit originel des primeurs : permettre l’achat de grands vins à des prix attractifs.
Les baisses de prix sont significatives, atteignant souvent de 20 à 40% pour certains châteaux emblématiques comme : Lafite Rothschild (-29%), Cheval Blanc (-28%), Pavie (-40%), Gruaud Larose (-29%), Smith Haut Lafitte rouge (-32%).
Cette politique tarifaire vise à re-dynamiser la demande, alors que 85% des vins des millésimes 2016 à 2023 se trouvent encore disponibles à la vente, en dessous de leur prix de sortie en primeur.
En effet, est-ce que cette baisse tarifaire va effectivement re-dynamiser le marché de vins de bordeaux en berne depuis quelques années ?
Cependant, la baisse des prix n'est pas une garantie absolue de succès. Plusieurs acteurs du secteur soulignent, que malgré des ajustements significatifs, la demande reste fragile, notamment à cause d'une conjoncture économique mondiale incertaine, d'une baisse du pouvoir d'achat et d'une consommation en recul, surtout sur les vins rouges. De plus, certains professionnels s'inquiètent de l'impact sur la rentabilité des propriétés, dont les coûts de production ont augmenté dans un contexte climatique difficile.
Perspectives, une campagne sous le signe de l’opportunité
Pour les amateurs comme pour les investisseurs, la campagne 2024 représente un retour aux fondamentaux, soit à la possibilité d’acquérir de grands vins de Bordeaux à des prix compétitifs, certes dans un millésime qui, malgré les difficultés, offre une fraicheur, équilibre, mais aussi les dégrée d’alcool plus modéré avec une belle diversité, bien que la qualité reste très hétérogène, le millésime offre de belles réussites et opportunités à saisir.
En somme, Bordeaux 2024 s’impose comme un millésime de transition, où la résilience des producteurs et l’ajustement des prix redonnent un certain élan à la place de Bordeaux, qui a bien besoin de se réinventer.
La politique de baisse de prix de primeurs contribue à repositionner les grands crus sur un rapport qualité/prix plus attractif, ce qui pourrait à moyen terme attirer de nouveaux consommateurs, notamment plus jeunes.
Certes, la baisse des prix des primeurs 2024 permet de relancer partiellement la demande et d'offrir de nouvelles opportunités d'achat, mais comme elle s'inscrit dans un contexte économique tendu, ça reste très fragile.
Affaire à suivre à la loupe…
Voici quelques points essentiels pour comprendre le millésime 2024
- Un hiver doux, exceptionnellement pluvieux et peu ensoleillé, retarde le débourrement et limite l’accès aux parcelles de vigne
- Une évolution rapide des premiers stades phénologiques suivie d’un fort ralentissement de la croissance, conséquence d’un temps froid et pluvieux à partir de la mi-avril
- Un mois de mai pluvieux, souvent frais et assez peu ensoleillé, maintenant une croissance lente et irrégulière de la vigne
- Un juin également pluvieux : une floraison difficile dans un contexte de forte pression mildiou.
- Un été plutôt sec, mais une véraison étalée et tardive en raison des ressources hydriques des sols.
- Un début de maturation à partir de fin août avant l’arrivée subite de l’automne en septembre.
- Un épisode pluvieux à partir du 20/09 qui bouleverse les plannings de récolte.
- Dans le Sauternais, une alternance de périodes sèches et humides favorise l’installation du Botrytis puis la concentration des raisins.
- Des vins rouges frais et fruités, avec de belles réussites sur les grands terroirs, de très bons vins blancs secs, ciselés et expressifs, et des vins liquoreux de pourriture noble purs et équilibrés.
- Grâce aux efforts viticoles consentis et aux progrès techniques dont peuvent désormais profiter les vignerons, la qualité des vins élaborés cette année ne saurait être comparée aux Millésimes pluvieux du passé. S’il était forcément plus évident de produire des vins blancs secs et liquoreux d’un très bon niveau, il serait précipité de négliger systématiquement les vins rouges.
Pr Axel Marchal, l'Unité de recherche Œnologie de l'Institut de Sciences de la Vigne et du Vin
Et maintenant, quelques de mes gros coups de coeur, les vins qui ont su captiver toute mon attention, parmi les échantillons que j’ai dégusté, attention la liste n’est pas exhaustive.

Incontestablement Tertre Roteboeuf à Saint-Émilion fait partie de ces pépites.
Dans la partie sud de Saint-Émilion, les 6,5 ha de la vieille vigne, nichés sur des coteaux argilo-calcaires, bénéficient d'un microclimat unique, orienté Sud/Sud-Est, offrant une exposition privilégiée au soleil levant, réunirent tout pour surmonter les aléas climatiques, plus en plus fréquents chaque année.
Je ne sais pas, si François Mitjavile, le propriétaire, est un magicien, mais depuis que je déguste ce cru, je n’ai jamais eu une quelconque déception. Les vins sont très identitaires, toujours égaux à eux-mêmes, en reflétant bien le terroir et l’assemblage, qui ne bouge jamais avec 80% Merlot 20% Cabernet Franc. Ici la devise est simple : « ce que vous avez donné à la vigne, la vigne vous rendra et ça se verra dans le verre ». Aujourd’hui c’est Henri, le plus jeune fils qui est aux manettes avec François à ses côtés.
À Tertre Roteboeuf on goute le vin en barrique, car les assemblages sont faits dans la foulée, après les fermentations en cuves béton, juste avant l’entonnage et l’élevage d’environ 18 mois en barriques 100% neuves.
En bouche le boisé est très délicat, qui s’estompe et s’intègre très rapidement dans la masse, le vin est frais et délicat avec une belle fraicheur et le fruité toujours dominant, tanins jamais agressifs, toujours délicats et fins.
Rol Valentin, Saint-Émilion
J’aime beaucoup parler de ce cru, car je le suis depuis de nombreuses années et tout précisément, depuis l’acquisition par Alexandra et Nicolas Robin.
C’est presque un jardin de 7 ha de vignes sur un terroir d’argiles rouges et de beaux calcaires à Saint-Etienne-de-Lisse. C’était un grand défi pour Alex et Nico, déjà de s’imposer, de montrer leur capacité, d’affirmer le style personnel, pour un cru qui était toujours reconnu et remarquable.
Je pense qu’ils ont su trouver la recette et faire de Rol un vin à une forte personnalité qui s’impose et se remarque par ses qualités parmi d’autres sur le même secteur.
Au fil du temps l’assemblage a été légèrement modifié avec du Malbec à 7% 78% Merlot 15% Cabernet Franc.
Aujourd’hui le nouveau chai permet le travail de précision encore plus poussé, permettant de vinifications par cépage et par parcelle dans de cuves béton de la nouvelle génération.
On retrouve la droiture et une belle fraicheur dans chaque millésime, même les plus difficiles comme 2024 et avec du Malbec un peu plus de structure en bouche. Comme les vins passent dans de demi-muids de 400 l, le boisé est relativement délicat.
Canon, Saint-Émilion
Rauzan-Ségla, Margaux
J’ai mis ensemble ces deux crus, car ils sont dirigés et vinifiés par Nicolas Audebert, DG et oenologue, qui depuis une dizaine d’années pose sa signature et son style sur ces deux crus remarquables, à signaler que ces deux châteaux appartiennent à la maison Chanel (depuis 1994 et 1996).
24 ha de vignes, pour Canon, dédiés à la production de grand vin, le terroir d’exception sur le plateau calcaire à l’entrée de Saint-Émilion, caractérisé par une grande homogénéité bénéficiant de la fraicheur de carrières souterraines.
Le 2024 est le premier millésime certifié bio composé de 74% Merlot 26% Cabernet Franc.
Dans ce cru on retrouve bien la signature calcaire du terroir avec une belle énergie et fraicheur.
Rauzan-Ségla, dispose de 70 ha de vignes sur la commune de Margaux, sur une mosaïque de terroirs très diverses, entres les graves profondes, les graves fines, les argiles ou les sols argilo-calcaires, tout est réuni pour sublimer ce cru par son élégance, finesse et fraicheur.
Le 2024 est certifié bio avec son assemblage très complexe, 63,5% Cabernet Sauvignon 34% Merlot 2% Petit Verdot 0,5% Cabernet Franc
Pavie Macquin, Saint-Émilion
15 ha de vignes bénéficient d’une situation idéale sur le plateau argilo-calcaire culminant le village de Saint-Émilion au-dessus de la grande côte, là où sur ce terroir naissent de très grands vins.
Nicolas Thienpont avec son fils Cyrille produisent un vin classique et intemporel avec une fraicheur, puissance et élégance, signature du terroir.
Le 2024 est composé de 84% Merlot 15% Cabernet Franc 1% Cabernet Sauvignon, élevage d’environ 20 mois en barriques 50% neuves
De Pressac, Saint-Émilion
Chaque année, je goute ce vin avec beaucoup attention, car je le considère un peu comme un « ovni » dans le paysage saint - emilionais.
Tout d’abord par sa position : 40 ha de vignes sur le plateau calcaire et le coteau argilo-calcaire de Saint-Étienne de Lisse, d’un seul tenant autour du château, ce qui est vraiment très rare pour sa superficie. Ensuite, il bénéficie de l’encépagement bordelais complet : Merlot, Cabernet Franc, Cabernet Sauvignon, Carménère, Petit Verdot et Malbec, chaque cépage rentre dans l’assemblage de grand vin. Ce qui lui fournit sa complexité et forcément son identité propre et sa différence par rapport à d’autres crus sur ces terroirs.
Le 2024 est composé de 71% Merlot 19% Cabernet Franc 7% Cabernet Sauvignon 1% Malbec 1% Carménère 1% Petit Verdot.
Ce jeu d’assemblage permet à jongler dans les millésimes un peu plus difficiles pour sortir un vin équilibré et identitaire.
Millésime 2024 est le 4e à être vinifié dans le nouveau chai, qui donne de possibilités no limit pour une propriété de cette taille avec sa richesse d’encépagement.
Vinification en cuve béton, ensuite élevage 18 mois en barriques 50% neuves
2024, nous offre une richesse de fruits frais, une structure avec une puissance modérée et surtout une belle acidité et fraicheur.
Les Carmes Haut-Brion, Pessac-Leognan
J’aime beaucoup parler de ce château, tout d‘abord par la qualité incontestable de ses vins et sa situation géographique unique. Aujourd’hui, c’est le seul vignoble urbain, le seul château de Bordeaux situé à Bordeaux.
Cette petite pépite d’une dizaine d’hectares de vignes, sur le terroir de graves, d’argiles et de sables, se cache discrètement dans un parque.
Ici, c’est le Cabernet Franc qui domine si bien dans le vignoble, que dans l’assemblage de grand vin, ce qui le rend singulier et atypique pour appellation.
Guillaume Pouthier, DG et maitre de chai a décider de redonner les lettres de noblesse à ce cépage qui s’y plait particulièrement bien sur ce terroir.
Au chai, c’est les divers contenants qui rentrent en jeu : inox, béton, barrique et amphore, ce qui donne à ce cru une signature bien particulière avec une énergie et fraicheur vibrante.
Le 2024 est composé de 48% Cabernet Franc 29% Cabernet Sauvignon 23% Merlot, élevage 18 à 24 mois en barrique 30% neuve.
Le Cabernet Franc joue bien son rôle dans l’assemblage pour son côté épicé avec une bonne fraicheur.

Voici la liste des autres crus, que j’ai particulièrement apprécié
Domaine de Chevalier (Pessac)
Smith Haut Lafitte (Pessac)
Trotte Vieille (Saint-Émilion)
Clos Fourtet (Saint-Émilion)
Canon-la-Gaffelière (Saint-Émilion)
Valandraud (Saint-Émilion)
La Dominique (Saint-Émilion)
Grand Corbin-Despagne (Saint-Émilion)
Laroze (Saint-Émilion)
La Cabane (Pomerol)
Le Bon Pasteur (Pomerol)
Fontenil (Fronsac)
La Dauphine (Fronsac)
Brane-Cantenac (Margaux)
Lascombe (Margaux)
Prieure-Lichine (Margaux)
Branair -Ducru (Saint Julien)
Léoville Poyferré (Saint-Julien)
Batailley (Pauillac)
Clerc-Million (Pauillac)
Pichon Comtesse de Lalande (Pauillac)
Cos d’Estournel (Saint-Estephe)
Salon Ségur (Saint-Estephe)
Phélan Ségur (Saint Estèphe)

L’organisateur historique de la « semaine des primeurs » est l’Union des Grands Crus de Bordeaux (UGCB) créée au début des années 1970. Aujourd’hui, elle rassemble 132 Châteaux sur 13 appellations les plus prestigieuses de Bordeaux, avec à la tête son nouveau président François-Xavier Maroteaux. L’Union a pour mission de promouvoir les grands vins de bordeaux à l’échelle mondiale. Véritable l’ambassadrice de la culture française, qui fait du vin un symbole puissant et incontournable, rayonnant bien au-delà des frontières.
Adresses utiles :