Millésime 2023, millésime passionnant, parce qu’il est hétérogène et difficile avec un joli potentiel… Stéphane Derenoncourt (Derenoncourt Consultants)
Depuis de nombreuses saisons, fidèle à la tradition, je me rends à Bordeaux pour déguster les primeurs. À chaque fois, je suis saisi par l’effervescence et une certaine tension au sein de ce microcosme viticole bordelais, quel que soit le millésime. En somme, c’est le moment tant redouté de la semaine des primeurs.
Dans ce millésime 2023, mise en lumière cette année, de nombreux vins rouges se distinguent par leur équilibre et leur fraîcheur éclatante, offrant une belle profondeur, des fruits magnifiques et mûrs, ainsi que des tanins subtils.
J’ai remarqué, que pour certains propriétaires, il est considéré supérieur au 2022, le millésime solaire, plus riche, plus complexe, qui a donné de vins par nature plus puissants, certes excellents, mais moins accessibles à la jeunesse, donc les vins avec un grand potentiel qu’il faudra attendre.
En revanche, les vins du millésime 2023 ont le caractère dit « très bordelais » par leur nature, avec une tension et droiture en bouches, se manifeste par une belle énergie, acidité, les fruits mûrs et leurs finales fraiches, bref, cette signature « bordelaise » fait saliver les papilles, en nous procurant de surprises d’un château à l’autre. Certes, il est très hétérogène, et demande surtout une approche plus individuelle, château par château, il s’avère prometteur avec sa diversité et subtilité.
Les Merlots de la rive droite sur les grands terroirs riches en calcaire s’en sort vraiment très bien, donnent de vins exceptionnels, structurés, persistants, avec le fruit éclatant, de tanins nobles et la fraicheur remarquable, et pourtant rien n’était gagné d’avance avec la poussée de mildiou dans certaines zones ou de chaleurs excessives ou encore de périodes de sécheresse. Il a fallu être très vigilant, savoir traiter les parcelles au bon moment pour sauver la récolte.
Également, il a fallu bien géré la générosité de la vigne et ne pas tomber dans l’excès de rendement et de la surproduction, hélas dans certains crus on a pu remarques la dilution et manque de matière.
En revanche, les Cabernets sur la rive gauche se sont illustrés par leur qualité exceptionnelle, donc de nombreux producteurs ont largement augmenté leur pourcentage dans les assemblages. Avec l’évolution climatique, c’est une tendance de plus en plus en vogue, travailler aussi dans des assemblages le Petit Verdot et le Carmenère, qui aujourd’hui arrivent plus facilement à maturité et l’ajoutent une touche intéressante aux vins.
Bref rappel de la météo 2023
L’été chaud et sec, quasi tropical en juin, avec les pressions conséquentes de mildiou et la perte de récolte sur certaines zones. Les fortes pluies annoncées à la troisième semaine de septembre ont avancé chez certains vignerons les vendanges. Les producteurs qui ont su attendre ont bénéficié d’une arrière-saison très agréable et prometteuse, donc ils ont vendangé après les pluies des raisins à maturité optimum (phénolique et physiologique).
C’est un millésime qui a produit de vins identitaires, aux styles très différents, qui s’identifient clairement à son terroir, comme la puissance d’argiles ou la finesse et fraicheur de calcaires.
l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin de l’Université de Bordeaux conclut le millésime 2023 dans cette phrase :
« Des vins rouges aux profils variés, avec de grandes réussites, des vins blancs secs éclatants, et des vins liquoreux admirables, conciliant puissance et fraîcheur »
« 2023 mérite que l’on se penche avec attention sur sa qualité, à l’échelle de chaque cru, tant il serait dommage qu’il rejoigne la liste des millésimes de Bordeaux dont on réalise les vertus, quelques années plus tard, en regrettant de les avoir sous-estimées à leur naissance »
Maintenant, je vous propose d’écouter l’analyse du millésime par Stéphane Derenoncourt (Derenoncourt Consultants), mettant en lumière toutes les subtilités du 2023, qui font toute la différence.
L’économie et de tendances de la campagne 2023 :
Aujourd’hui, malgré une grande qualité du millésime 2023 à Bordeaux, il faut se poser la question, quelle est la tendance générale du marché, avec une demande moins importante, dû aux différents facteurs géopolitiques de l’économie mondiale, est-ce que le consommateur sera au rendez-vous et prêt à l’investir dans ce millésime ? Voilà une bonne question.
Certains châteaux parlent déjà d’une baisse de prix de 10 à 30%, même encore plus, jusqu’à 50% par rapport à 2022. C’est un débat qui anime tout le microcosme bordelais, pas que…
Affaire à suivre avec la campagne de primeurs qui débute…
Voici ma sélection de bordeaux 2023 (attention elle n’est pas exhaustif, tout n’était pas dégusté)
Tertre Roteboeuf, Saint-Émilion
Ce petit joyau de 6 ha de vignes dans la partie sud de Saint-Émilion, nichés sur des coteaux argilo-calcaires, bénéficie d’un microclimat unique, orienté Sud/Sud-Est, offrant une exposition privilégiée au soleil levant.
Grâce à sa position géographique avantagée, son terroir exceptionnel, la vieille vigne cinquantenaire, tout est réuni pour surmonter avec brio les défis climatiques, qui malheureusement sont plus en plus fréquents aujourd’hui.
François Mitjavile, le propriétaire, agit ici, en véritable chef d’orchestre. De la vigne à la bouteille, il joue chaque année une symphonie viticole différente, harmonieuse avec des éléments, que la nature lui offre, toujours avec la même rigueur, la même attention, la même précision, le même raffinement et la même grâce, afin d’arriver à une qualité irréprochable. Pour lui, la devise est simple : « ce que vous avez donné à la vigne, la vigne vous rendra et ça se verra dans le verre ».
La clef de cette réussite, est tout simplement savoir attendre, pour ramasser les raisins à la parfaite maturité, ni trop tôt, ni trop tard, ça demande une vigilance particulière, être tout le temps dans la vigne, connaître par cœur chaque parcelle et bien évidemment observer, goûter les raisins, pour ne pas rater le jour J.
Assemblage 80%M 20%CF
Fermentation en cuves béton, élevage 18 mois en barriques neuves 100%
J’ai goûté le 2023 à la barrique, François fait toujours ses assemblages après les fermentations avant l’entonnage et l’élevage. Ça donne, d’ores et déjà, une bonne visibilité sur le vin en version livrable.
Tertre Roteboeuf séduit toujours par son énergie, sa pureté aromatique, sa densité, sa fraîcheur fruitée, son boisé délicat et l’élégance de ses tanins, c’est un vin racé et gourmand avec sa finale fraiche et avec une note saline.
Canon, Saint-Émilion
24 ha de vignes dédiés à la production du grand vin, le terroir d’exception sur le plateau calcaire à l’entrée de Saint-Émilion, caractérisé par une grande homogénéité bénéficiant de la fraicheur de carrières souterraines. En conversion bio, (le 1er millésime certifié qui sera 2024).
Assemblage 70% M 30% CF
Depuis 10 ans, Nicolas Audebert, (DG et oenologue) impose sa signature sur ce cru remarquable pour exprimer la pureté de son terroir.
2023 était très certainement un millésime difficile, mais le résultat est remarquable avec un vin d’une pureté et d’équilibre parfait, expressif avec de tanins matures, la fraicheur de fruits de l’attaque à la finale avec une belle tension minérale qui laisse les papilles en veille.
Pavie Macquin, Saint-Émilion
15 ha de vignes idéalement placés sur le plateau argile-calcaire culminant le village de Saint-Émilion, au-dessus de la grande côte, sur le terroir qui produit de très grands vins.
Nicolas Thienpont produit de vins qui reflètent le classicisme et l’élégance naturelle, jamais trop, ni pas assez, tout est toujours à sa place, précis et complexe.
C’est un cru qui s’impose, millésime par millésime avec de vins très identitaires. Dans ce millésime 2023, certes difficile, il a montré ses pures performances avec de Merlots frais et fruités, Cabernets puissants et généreux tout en élégance avec une bonne acidité, la magie du terroir a opéré 100%.
Assemblage 82% M 17% CF 1% CS
Élevage 20 mois en barrique bordelaise, 50% bois nef.
Beau-Séjour Bécot, Saint-Émilion
22 ha de vignes sur le plateau calcaire à l’ouest de Saint-Émilion, propriété de la famille Bécot depuis 1969. Aujourd’hui, c’est Juliette Bécot, la troisième génération avec son époux Julien, perpétue la tradition familiale avec une vision plus moderne, toujours dans la quête de l’excellence.
J’aimais beaucoup le 2023 par sa fraicheur de fruits et précision, chaque élément était bien à sa place avec une structure tanique élégante et la finale acidulé, très bien équilibré sans aucune lourdeur grâce à son élevage dans de différents contenants.
Assemblage 77% M 21% CF 2% CS
Élevage 16 mois en barriques, amphores et foudres
Rol Valentin, Saint-Émilion
7 ha de vignes sur le terroir d’argiles rouges et de beaux calcaires à Saint-Etienne-de-Lisse.
Cette petite pépite très discrète et ultra confidentielle, fait partie de vignobles Robin.
Personnellement, je connais ce cru depuis plusieurs années, encore avant l’acquisition par Alexandra et Nicola Robin. Le vin toujours remarquable, mais Alexandra et Nicola on su s’imposer et affirmer leur style dans la quête d’excellence et surtout en préservant le caractère identitaire de leur terroir.
Pour aller plus loin dans la recherche et la précision, le nouveau chai a vu le jour en 2020.
Ce nouvel outil, ultra performant et spacieux, doté d’un cuvier béton, permet de vinifications parcellaires précises par cépage sans aucune précipitation jusqu’à la mise en bouteille, avec un élevage de 18 mois ou plus dans de demi-muids (400 l).
Assemblage 78% M 15% CF 7% Malbec
En 2023, les Merlots, largement majoritaires sur ce terroir argilo-calcaire ont bien montré leurs performances avec la fraîcheur, élégance et une belle touche de minéralité, le fruit voluptueux sont bien présents et depuis peu, une touche de Malbec ajoute une persistance et énergie supplémentaire.
De Pressac, Saint-Émilion
40 ha de vignes sur le plateau calcaire et le coteau argilo-calcaire de Saint-Étienne de Lisse, le vignoble d’un seul tenant autour du château, très rares pour sa superficie.
Ce qui est encore plus rare que Jean-François Quenin, son propriétaire, cultive ici, sur le plateau et le coteau l’encépagement complet : Merlot (70%), Cabernet Franc (15%), Cabernet Sauvignon (2%), Carménère (2%), Petit Verdot (2%) et Malbec (1%), qui rentre dans sa totalité dans chaque millésime.
À chaque millésime, le vin cri son l’identité, qui peut paraître atypique, mais qui donne des atouts dans de millésimes dits « difficiles » comme 2023.
En 2021, de Pressac a vu naître son nouveau cuvier, qui permet de travailler avec plus de précision avec chacun de cépages au moment de vendanges, pouvoir vinifier « à la carte » chaque cépage sur son terroir spécifique.
Vinification en cuve béton, élevage 18 mois en barriques 50% neuves
2023 a bien montré son caractère racé et complexe grâce à son assemblage pas commun, avec une belle élégance et la fraicheur de fruits, tanins bien structurés et ronds, persistant avec une belle acidité en finale.
Clos Puy Arnaud, Castillon Côtes de Bordeaux
C’est un cru, que je goûte chaque année, et chaque millésime me surprend davantage.
Castillon est mon appellation préférée parmi toutes les Côtes de Bordeaux avec son terroir magique très proche de Saint-Émilion.
Ce petit joyau de 15 ha de vignes travaillés en biodynamie, fait partie de l’un de crus les plus remarquables de l’appellation, propriété de Thierry Valette depuis 2000.
À toutes fins utiles, j’ajoute, que la famille Valette était le propriétaire de Château Pavie jusqu’à 1998, racheté par la famille Perse, qui depuis est toujours son propriétaire.
Vignoble sur le plateau calcaire avec le sol qui repose sur une couche argilo-limono-sableux, très proche de grands crus de Saint-Émilion, est planté en Merlot, Cabernet Franc et Cabernet Sauvignon.
Thierry fait partie de précurseurs du bio et de pratiques biodynamiques dans le Bordelais, qu’il pratique lui-même depuis 25 ans.
Assemblage 65% M 30% CF 5% CS
Vinifications en cuves bois et béton, élevage 8 mois en barriques (10% neuves), demi-muids et jarres, après l’assemblage final le vin reste 5 mois en masse en cuves béton.
2023 se caractérise par son fruit éclatant, son énergie et sa fraicheur et puissance apportée par une bonne dose de cabernets avec son élégance de merlot. Même dans de millésimes difficiles on retrouve la précision et l’équilibre d’un vin né sur un terroir magique.
Les Carmes Haut-Brion, Pessac-Leognan
Cette petite pépite d’une dizaine d’hectares de vignes, sur le terroir de graves, d’argiles et de sables, dans l’agglomération de Bordeaux, cachée discrètement dans un parque.
Guillaume Pouthier, qui gère le vignoble, a redonné les lettres de noblesse au Cabernet Franc, qui est aujourd’hui majoritaire dans le vignoble, également planté en Cabernet Sauvignon et Merlot. Cette grosse proportion de Cabernet Franc, rend ce cru singulier et complètement atypique pour appellation.
2023, je l’ai trouvé extrêmement intéressent avec son assemblage de 50% Cabernet Franc 30% Cabernet Sauvignon et seulement de 20% de Merlot, vinifié à 60% en grappes entières dans de différents contenants (inox, béton et bois).
Au finale, c’est un vin très racé et intense avec une puissance modérée, les fruits éclatants, joli floral et le soyeux apporté par le merlot, sa fraicheur est saisissante de l’attaque à la finale.
Voici d’autres crus que j’ai particulièrement apprécié dans le millésime 2023
Domaine de Chevalier (Pessac)
Haut-Bailly (Pessac)
Smith Haut Lafitte (Pessac)
Trotte Vieille (Saint-Émilion)
Clos Fourtet (Saint-Émilion)
Canon-la-Gaffelière (Saint-Émilion)
La Gaffelière (Saint-Émilion)
Valandraud (Saint-Émilion)
La Dominique (Saint-Émilion)
Sanctus & La Bienfaisance (Saint-Émilion)
Grand Corbin-Despagne (Saint-Émilion)
Laroze (Saint-Émilion)
L’Archange (Saint-Émilion)
Petit Village (Pomerol)
Bourgneuf (Pomerol)
Le Moulin (Pomerol)
Clinet (Pomerol)
La Cabane (Pomerol)
Siaurac (Lalande de Pomerol)
Fontenil (Fronsac)
La Dauphine (Fronsac)
Dayrem Valentin (Margaux)
Brane-Cantenac (Margaux)
Monbrison (Margaux)
Marquis de Terme (Margaux)
Lascombe (Margaux)
Prieure-Lichine (Margaux)
Léoville Poyferré (Saint-Julien)
Talbot (Saint Julien)
Batailley (Pauillac)
Clerc-Million (Pauillac)
Pichon Comtesse de Lalande (Pauillac)
Phélan Ségur (Saint Estèphe)
De Fargues (Sauternes)
Guiraud (Sauternes)
Depuis plusieurs décennies, l’organisateur historique de la « semaine des primeurs » est l’Union des Grands Crus de Bordeaux (UGCB) créée au début des années 1970. Aujourd’hui, elle rassemble 132 Châteaux sur 13 appellations les plus prestigieuses de Bordeaux, avec Ronan Laborde (propriétaire de Château Clinet à Pomerol), qui assure la présidence.
Son but premier, consiste à développer des actions de promotion de grands vins de bordeaux à travers le monde, elle est l’ambassadrice de la culture française, dont le vin est un élément phare et inséparable.
Adresses utiles :